
La Moldavie, entre l’Ukraine et la Roumanie, n’est pas un pays connu pour être une destination touristique. C’est d’ailleurs l’une des destinations les moins chères d’Europe. Si l’idée d’y voyager est en soit quelque chose d’un peu original, faire le trajet en train l’est encore plus. Pourtant c’est bien le coeur de ce voyage dans l’est de l’Europe, qui va nous permettre de découvrir des trains extraordinaires avant de rentrer dans le pays du TGV.

En Moldavie, le réseau ferré est peu développé et l’essentiel des déplacements se fait par la route. Dans la capitale, un réseau de trolleybus assure le transport urbain. Et les transports régionaux collectifs dans ce pays qui fait la taille de la Belgique sont assurés aux moyens de marshrutkas : des mini-bus privés sillonnant le pays, dont le principe est qu’ils n’ont pas vraiment d’horaire de départ mais se mettent en route une fois qu’ils sont pleins, vers leur destination. Ce mode de transport flexible, un mix entre taxi, covoiturage et transport à la demande, est typique des pays de l’est et permet d’atteindre de nombreux villages. Mais on retrouve aussi ce genre de minibus sur de plus longs parcours, des marshuktas faisant par exemple aussi le trajet jusqu’en France, transportant des passagers mais aussi des marchandises parfois vendues sur des marchés improvisés place de la Nation à Paris. Une alternative routière peu onéreuse à laquelle on a quand même préféré un périple en train.


Les chemins de fer moldaves représentent une part anecdotique des déplacements dans le pays. Le réseau, hérité des années soviétiques, est en mauvais état (cela se ressent aux vibrations lors des trajets et à la lenteur des circulations) et la compagnie moldave était au bord de la faillite en 2010, avant de se recentrer sur quelques lignes de voyageurs et de marchandises. Il n’y a pas de lignes électrifiées, et la plupart du réseau est à voie unique. Par conséquent, la gare de Chisinau n’a rien de comparable à d’autres gares de capitales. Excentrée, elle ne dispose que de 3 voies sous une « verrière » en tôle. Elle doit être aussi grande que la gare TGV de Laval en France, bien que la capitale moldave compte 10 fois plus d’habitants. Les abords de la gare sont peu fréquentés, une passerelle donne sur un quartier dépéri derrière le dépôt dans lequel sont garés principalement des trains de marchandises. Il n’y a que quatre entrées sur le panneau d’affichage des départs : deux trains régionaux et deux départs pour Bucarest et Kiev qui sont en fait le même train de nuit. On le voit ci-dessus, garé en avance pour un départ vers 17h.
À l’intérieur, on trouve une décoration qui ressemble à l’intérieur d’une maison : plantes vertes, piano et même aquariums donnent une ambiance « cosy » à cette gare dont le bâti pourrait faire austère. En fin d’après-midi, l’essentiel des passagers qui patientent dans le hall s’apprêtent à prendre place dans le train de nuit qui se rend à Bucarest et Kiev (les wagons sont séparés en cours de trajet juste avant de passer en Roumanie).
Jour 1 – de Chișinău à Bucarest avec le train de nuit soviétique Prietenia
Environ une demi-heure avant le départ, billets sont contrôlés à l’embarquement du train par un agent à chaque porte. On entre dans des voitures dont l’aspect extérieur rappelle le matériel tracté classique européen, mais l’intérieur et sa décoration « d’époque » dénote clairement et fait la particularité du train.

On perçoit d’abord une odeur de propre, de savon : malgré les nombreux tapis, les parois en bois laqué et l’aspect « vieillot » général qui se dégage du train, celui-ci semble bien entretenu et confortable. Pas d’odeur de gazoil non plus alors que nous sommes juste derrière la locomotive diesel. Le visuel est chargé et le train est dans son jus, avec, comme beaucoup le décrivent, une ambiance « carte postale de l’URSS » des années 1980. Le personnel de bord est en nombre, avec au moins un agent par voiture, si ce n’est plus.
Chaque voiture comporte plusieurs compartiments avec un nombre de lits variable, des toilettes, et un espace pour le chef de wagon à proximité d’un samovar (une grande bouilloire) d’eau chaude. La décoration est loin d’être standardisée, et des drapeaux au logo des chemins de fer moldaves accrochés un peu partout aux fenêtres viennent ajouter une identité à ce train qui, de l’extérieur, est juste bleu et jaune sans flocage particulier. Le wifi gratuit, non fonctionnel, est diffusé au moyen d’un routeur branché dans le couloir, comme à la maison.

S’agissant des cabines, elles sont à l’image du reste du train avec un confort avéré (sans tomber dans le luxe) et toujours autant de cachet, on sent que le matériel date de l’époque soviétique. Dans ma cabine de première classe (pour deux personnes), les deux banquettes se font face, séparées par une table nappée. Pour dormir, les draps et oreillers aux motifs floraux se trouvent en-dessous des assises. Une prise électrique par personne est disponible au-dessus des lits. Pas d’air conditionné mais il est possible d’ouvrir les fenêtres pour une aération naturelle.
Après quelques coups de sifflet de la locomotive, le train se met en route très lentement. Il quitte la capitale moldave en passant dans le centre, avant de s’enfoncer dans la campagne pendant que l’obscurité s’installe. Les quelques arrêts intermédiaires jusqu’à la frontière ne brassent pas beaucoup de monde, à vrai dire, le train semble rempli pour bonne part de touristes étrangers.

Une voiture restaurant est disponible, bien qu’il n’en soit pas fait une grande promotion à bord : pas d’annonces ou d’affichage particulier. Il s’agit d’une voiture partagée entre quelques compartiments et un bar qui vend des snacks, de nombreux alcools comme le vin moldave Cricova, et des plats à base de viande qui peuvent être cuisinés sur demande. Les prix ne sont pas élevés, comme pour le prix du trajet en soi qui avoisine les 50€ par personne, avec un achat sur le site des chemins de fer roumains.
Arrivé à Ungheni, le train s’apprête vers 20h à passer la frontière. Elle est double : administrative d’abord, avec les contrôles pour sortir de Moldavie et entrer en Roumanie dans l’espace Schengen. Mais aussi technique, avec pour changement principalement visible, les essieux (roues du train) pour être compatibles avec le réseau roumain.
L’écartement des rails (c’est à dire la distance entre les deux rails d’un côté à l’autre) diffère entre le standard soviétique (1,520m) valable en Moldavie et européen (1,435m) en Roumanie. Si la Moldavie était auparavant une région de la Roumanie, son annexion par l’URSS s’est immédiatement accompagnée en 1940 d’un changement de la taille des essieux pour intégrer le pays à l’union et ainsi répondre à des enjeux commerciaux et militaires. On voit bien l’enjeu de cet écartement de rails qui permettait au réseau moldave d’être connecté au réseau de l’URSS, bien que depuis 2022 il n’existe plus de liaisons vers Moscou.
Toutes ces opérations, avec une durée d’environ 3h à cette frontière, donnent autant de charme au train qu’elles empêchent une nuit de sommeil convenable.

Tout d’abord, les douaniers moldaves, plutôt aimables, montent à bord du train et passent dans les compartiments. Ils récupèrent les passeports de l’ensemble des passagers formant une pile de documents rangés dans l’ordre d’entrée dans la voiture. Pendant quelques instants, on se retrouve sans passeport, à la frontière moldave, les douaniers étant descendus avec les documents pour les vérifier pendant que les essieux sont changés.
Le train s’engage en effet dans une série de manoeuvres. Il est d’abord séparé en plusieurs groupes de voitures, une partie du train allant à Kiev vers le Nord et en continuant d’emprunter le réseau moldave. Il arrivera le lendemain, un peu après midi, dans la capitale ukrainienne sans avoir à changer d’essieux.

La partie roumaine, quant à elle, reste pour opérer son changement d’essieux : d’abord, les bogies (les éléments qui relient les essieux aux voitures) sont détachés par le personnel. Il y a d’ailleurs une trappe permettant de le faire depuis l’intérieur, placée directement dans les compartiments à l’extrémité. Le train est ensuite soulevé à l’aide de puissants vérins qui le mettent en suspens au-dessus des bogies, eux-mêmes sur des voies spéciales qui comportent les deux écartements.

Les bogies de 1,520m, adaptés au réseau moldave, sont donc poussés pour être retirés. Ils sont remplacés par des bogies de 1,435m à l’écartement standard européen. C’est cet écartement de rails qui prévaudra à compter du passage de la frontière.

Une fois les nombreuses manoeuvres pour retirer et remplacer les essieux, le tout bien fixé, le train se remet à quai. Les douaniers moldaves nous remettent les passeports tamponnés et le train peut repartir. Il franchit alors la frontière roumaine en passant au-dessus de la rivière Prut qui marque aussi l’entrée dans la zone Schegen et l’Union Européenne.
Une fois la rivière passée, un deuxième contrôle de passeports a lieu sur le même modèle que celui pour sortir de la Moldavie, ce sont cette fois-ci les douaniers roumains qui récupèrent les passeports pour les vérifier les droits d’entrée sur le territoire, poser quelques questions, puis les remettre aux passagers.
Le train repart donc après 3h de manoeuvres et de contrôles. Si ce ne sont pas le bruit assourdissant des changements d’essieux et les lumières qui interrompent le sommeil, les contrôles successifs des passeports à la frontière rendent impossible de dormir pendant cet intervalle. Le point positif est qu’on reste dans le confort de son compartiment durant toute la durée du changement. Dans le sens Chișinău → Bucarest, on peut se rendormir un peu avant minuit une fois les opérations passées. Dans le sens inverse (Bucarest → Chișinău), le passage frontière se fait vers 2 h du matin, ce qui est encore moins idéal pour une bonne nuit de sommeil.
Le reste de la nuit est relativement paisible, le train circule raccordé à des voitures et une locomotive roumaines. On se réveille en gare de Bucarest assez tôt, avec une arrivée à l’heure et un peu avant 7h.

Ce train est sans doute l’étape la plus marquante du voyage, tant il est projeté dans l’époque soviétique, aussi bien pour sa décoration, son ancienneté, que son changement d’essieux en pleine nuit. On peut s’interroger sur la raison d’être de cette liaison d’une durée de 13h, comparée par exemple à la voiture/bus (7h de trajet) ou à l’avion (1h15 de vol). D’autant que ce trajet mobilise une logistique lourde, avec du personnel dans chaque voiture, une manutention technique complexe à la frontière, et deux séries de contrôles douaniers.

Les raisons de l’existence de cette ligne peuvent trouver une justification du côté pratique : paiement possible au guichet de la gare en espèces et sans besoin d’avoir un smartphone, formalités moins lourdes pour un trajet qui peut être parfois moins onéreux que l’avion. Ce train continue aussi d’exister grâce à l’aspect symbolique d’une liaison qui relie deux pays amis (Prietenia le nom du train signifie d’ailleurs « amitié ») et plus largement la Moldavie à l’occident au travers d’un moyen de transport fiable et assurant cette continuité même en cas de crise. Les chemins de fer moldaves sont aussi l’un des principaux employeurs du pays et représetent une filière avec une expertise technique. Enfin, le charme du train ajoute aux quelques locaux une part de touristes qui veulent profiter de cette expérience inédite, remplissant ainsi les compartiments. Ce dernier est même passé à l’Eurovision avec une chanson en son honneur.
Jour 2 – de Bucarest à Vienne avec le train de nuit Dacia
Voilà le deuxième train de nuit, pour se rendre cette fois-ci dans la capitale autrichienne. L’Euronight « Dacia » relie Bucarest à Vienne depuis 1939, en passant par la capitale hongroise Budapest. Les 19h de trajet en font l’un des plus longs trains de nuit d’Europe, rivalisant sur ce plan avec les trains de nuit nordiques (Stockholm > Narvik, Berlin > Malmö…).

Pour arriver le lendemain matin à Vienne, il faut donc s’y prendre tôt pour partir de Bucarest. Le départ se fait en milieu d’après-midi, vers 15h. Le train est affiché 20 minutes avant son départ et est composé des voitures-couchettes mais aussi de places assises dont certaines sont accrochées au train de nuit pour assurer un service régional sur quelques gares. Ce train combine en effet des dessertes longue distance entre capitales, mais aussi la possibilité de l’emprunter comme un train régional entre plusieurs gares proches.

À l’avant du convoi, une magnifique locomotive roumaine électrique est mise en place. Fait surprenant en gare de Bucarest, l’accès aux voies est assez libre et il y a du monde qui descend dessus pour effectuer les manœuvres ou tout simplement pour traverser. J’ai même vu un voyageur faire son chemin en grimpant dans un wagon arrêté côté voies, par la porte ouverte face aux rails, avant de ressortir de l’autre côté sur le quai.
L’intérieur du train surprend par son confort. L’aménagement, comportant des parois plaquées en bois, est plus moderne que le Prietenia. Il est baigné de lumière en cet après-midi ensoleillé, et permet de découvrir notre compartiment de première classe.


La bonne surprise est que ce compartiment comporte des sanitaires privés avec une douche ! Celle-ci fonctionne bien, même si l’espace est un peu étroit, que l’évacuation donne sur les voies et s’écoule difficilement, c’est un vrai plus de pouvoir en profiter. En plus de ça, le compartiment pour deux personnes est confortable. Un kit d’hygiène est fourni et les lits sont faits. À disposition également : des prises et de l’air conditionné, en plus du fait de pouvoir ouvrir les fenêtres.
Comme cela arrive généralement dans les trains de nuit, un agent par wagon lit est disponible.

Ce train de 19h constitue une nouvelle fois à sa façon une expérience « hors du temps ». C’est l’occasion de prendre un bon livre, de profiter de toute une après-midi et d’une soirée dans un train confortable. Il y a différents niveaux de confort, allant de compartiments avec fauteuils à cette cabine privée : vu le temps de trajet, investir dans une couchette plutôt que dans des places assises semble tout à fait raisonnable pour en profiter au mieux.



Au fil du trajet, et lorsque le train s’enfonce dans les Carpates, la météo change et on traverse bientôt des paysages enneigés. Pour dîner, il n’y a hélas pas de voiture restaurant dans ce train. C’est sans doute ce qui manque le plus sur un trajet d’une telle durée, il faut donc prévoir de quoi se nourrir en plus des divertissements.
Dans la nuit, le train franchit la frontière hongroise. Alors qu’il y avait jusqu’ici des contrôles semblables à ceux qui nous ont réveillés à bord du Prietenia, avec des douaniers qui montent vérifier les passeports, ce n’est plus d’actualité avec l’intégration de la Roumanie dans l’espace Schengen en 2025. Pas de changement d’essieux non plus car nous conservons le même écartement des rails standards, seule la locomotive change à deux reprises (en Hongrie, puis en Autriche). Le train dessert donc Budapest vers 5h du matin dans le sommeil des passagers. Des voitures hongroises sont rattachées à cette occasion, elles comportent notamment une voiture restaurant qui est ouverte pour le petit déjeuner. Le train arrive vers 8h à la gare centrale de Vienne.

Ce train de nuit emblématique, assurant une partie du parcours de l’Orient Express, est une vraie belle surprise en raison de sa durée combinée à son confort en 1ère classe avec une douche. Le seul bémol étant l’absence de voiture restaurant/bar au départ de Bucarest. L’absence de contrôle des passeports en pleine nuit, évolution assez récente, fait de ce train une très bonne option de voyage pour relier l’Autriche à l’Europe de l’Est.
Jour 3 – de Bratislava à Berlin avec l’Euronight Metropol
La suite du trajet est quelque peu originale. Pour regagner Paris, il existe un train de nuit direct depuis Vienne, c’est la solution la plus simple pour rentrer en France avec la compagnie autrichienne OBB. Mais ce train ne circule pas tous les jours, et lorsque c’est le cas, il peut rencontrer un succès au point d’être complet et/ou à un prix trop élevé.
Il existe heureusement des détours qui permettent de regagner la France, comme ici, en attrapant le train de nuit Budapest > Berlin, à Bratislava non loin de Vienne. On passe donc de Vienne à Berlin d’où un TGV direct Berlin > Paris permet ainsi d’arriver à Paris le lendemain soir (contre le lendemain matin pour le train de nuit direct), en passant dans deux capitales supplémentaires et en testant plusieurs trains.

Nous voilà donc à bord d’un train « REX » (Regional Express) entre la capitale Autrichienne et la capitale Slovaque, pour un temps de trajet d’environ 1h10. La liaison entre les deux villes est empruntée par des navetteurs, lesquels bénéficient de trains fréquents. À Bratislava, ce n’est pas la gare principale qui est desservie, mais la gare de Bratislava-Petržalka, au sud de la ville. À noter qu’il existe aussi une liaison en bateau/catamaran qui vogue sur le Danube pour un temps de trajet de port à port à peu près comparable.

La journée passée à Bratislava, c’est de la gare principale que part le train de nuit Euronight Metropol. Ce train est un assemblage étonnant et hétéroclite de voitures de différents transporteurs, dont le seul point commun est de partir / d’aller à Budapest, mais qui desservent chacune de leur côté différentes capitales : Berlin, Prague, Varsovie, et une partie du convoi qui s’arrête également à Breclav en République Tchèque. L’Euronight Metropol traverse un nombre important de pays en une seule nuit. Le panneau d’affichage de la gare a du mal à afficher toutes les destinations de ce train à la fois.
Quand on pense à un train, on se représente généralement un convoi qui voyage d’un point A à un point B, avec des passagers qui descendent / montent dans les gares intermédiaires. Le convoi, lui, roule du départ jusqu’au terminus. Ce n’est pourtant pas le cas tout le temps, on peut penser par exemple aux trains de marchandises qui fonctionnent avec des « wagons isolés » : un wagon de matériaux sorti d’une usine qu’on va rattacher à un premier train pour aller dans une gare de triage, pour être reformé un peu comme une « correspondance » dans un autre train qui ira lui vers sa destination finale… L’Euronight Metropol fonctionne comme cela mais avec des voitures de passagers.

On embarque donc dans un assemblage de plusieurs wagons et locomotives de plusieurs compagnies : Polonaise, Hongroise, Tchèque, Slovaque. Chaque voiture suit son propre trajet : elles font la plupart du trajet de la Hongrie à la république tchèque ensemble, puis sont séparées dans la nuit plusieurs fois vers des destinations différentes et même rattachées à d’autres trains en circulation pour la branche Varsovie par exemple. Il y a aussi des voitures avec des sièges raccordés au train de nuit pour une partie du trajet de la Hongrie à la République Tchèque, comme sur le Dacia Express, afin d’assurer des trajets régionaux. Il s’agit en quelque sorte d’un conglomérat de trains, les compagnies mutualisant le trajet et les locomotives, qui changent à plusieurs reprises.
Un autre fait marquant est que tous ces wagons différents et les employés de bord embarquant dedans appartiennent à leurs compagnies ferroviaires respectives, alliées et coordonnées pour faire rouler leur bout de train mais indépendantes. En montant à bord du train, je me retrouve par erreur à bord d’un wagon polonais, l’agent peinant à me renseigner sur ma place exacte dans le train, étant situé dans le wagon hongrois d’une autre compagnie et qui part vers Berlin.
On peut se dire que ce train « n’existe » pas vraiment en tant que tel, c’est plutôt un impressionnant un puzzle ferroviaire nocturne pour qui s’y intéresse (mais on peut aussi monter dans sa cabine et se réveiller à destination sans se poser toutes ces questions de changements et de correspondances, c’est même le but de ce train).


Difficile de décrire les voitures du train car elles sont toutes différentes, mais la partie qui va à Berlin est équipée avec des voitures hongroises modernes, avec un petit kit d’accueil bien fourni et un lavabo à l’intérieur. On peut choisir les éléments du petit déjeuner qui sera remis en cabine le lendemain.
Il règne une ambiance particulière à bord de ce train. L’agent de wagon nous prévient que les portes des cabines ne se verrouillent pas bien et nous recommande de faire attention. Un conseil pertinent puisque au milieu de la nuit, une personne entrouvre la porte et éclaire la cabine avec la lampe de son téléphone portable. Qui sait ce que seraient devenues nos affaires dérobées dans ce train qui part dans tous les coins de l’Europe ?

Le reste de la nuit se passe plutôt bien et permet d’arriver à Berlin au matin. On peut observer la locomotive « Taurus » des chemins de fer tchèques qui nous a tractés sur la fin de ce parcours.
Jour 4 – de Berlin à Paris en TGV
La dernière étape de ce périple est un très long trajet en TGV, de Berlin à Paris. Cette liaison a été mise en service en décembre 2024. Près de 9h de trajet permettent de relier les deux capitales, une durée record mais il ne s’agit pas du plus long trajet en TGV : il existe par exemple un Nancy > Nice d’une durée de plus de 10h.

La liaison est assurée par un ICE3 Neo, le tout dernier modèle de trains à grande vitesse mis en service en Allemagne. L’intérieur est tout confort, avec wifi et voiture bar/restaurant. La qualité de celle-ci est à souligner, comme dans tous les trains allemands, avec de la vraie vaisselle, une carte riche et travaillée. Il est possible de consommer sur place ou d’emporter à son siège. Autrement, la gare de Berlin est un vrai centre commercial sur plusieurs étages permettant de faire des provisions dans de nombreux restaurants et supermarchés.
Le train parcourt l’Allemagne jusqu’à Francfort et Karlsruhe, et franchit la frontière française au niveau de Strasbourg, puis continue directement jusqu’à Paris. Il y a peu d’arrêts intermédiaires et on peut se prélasser tranquillement. Étonnement, le trajet passe assez rapidement.

Pour un départ vers 11h de Berlin, TGV arrive un peu avant 20h à Paris, sans retard. Circulant sur des voies standardisées à grande vitesse, le tout se fait sans rupture de charge comme on a pu le voir auparavant. Il termine ce long périple tortueux depuis la capitale moldave.
Fin du voyage

Au-delà du voyage entre la Moldavie et la France en lui-même, effectué en 4 jours au lieu de 3h en avion, on retiendra les concepts propres aux trains de nuit de l’Europe de l’Est comme les trains portant un nom (« Prietenia », « Dacia », « Metropol »… leur conférant un imaginaire à part), recomposés en cours de parcours pour assurer différents niveaux de dessertes. C’est aussi la découverte de plusieurs approches des trains transfrontaliers. Nous sommes passés du modèle le plus abrupt (mais aussi le plus extraordinaire), le train entre la Moldavie et la Roumanie et ses changements d’essieux et contrôles en pleine nuit, à de simples changements de locomotives la nuit depuis la Hongrie, puis au train direct de bout en bout entre l’Allemagne et la France. En passant également par des liaisons transfrontalières du quotidien entre l’Autriche et la Slovaquie. Le tout, sans jamais avoir à descendre du train à une frontière, malgré les contraintes techniques et administratives.
Que de découvertes à la lecture de cet article ! Merci, aventurier du rail, pour ce récit qui donne envie de faire le même périple, rien que pour le plaisir de rouler.
Toujours aussi passionnants ces carnets de voyage en train Loukian ! Merciii de nous faire partager ces voyages. Envie de vivre la même expérience 🙂