De Catane à Vienne en trains de nuit

Notre trajet du moment consiste à relier le volcan Etna, en Sicile, à la capitale de l’Autriche. Sans lien entre les deux, si ce n’est l’opportunité d’emprunter deux trains de nuit à la suite. En trois jours nous allons tester les trains de nuit des compagnies nationales italienne, Trenitalia, et autrichienne, ÖBB.

Train de nuit Catane > Rome en cabine Excelsior

Première étape donc, relier Catane à Rome. Le trajet entre la Sicile et le continent par le train de nuit avait déjà été documenté plusieurs fois sur ce même blog : une première fois en 2018 entre Rome et Palerme, puis une deuxième fois dans le cadre d’un trajet de Paris à Malte. Deux différences cependant avec les précédentes expériences sur ce train extraordinaire :

  • Le trajet se fait dans le sens Sicile > Continent, avec un départ de Catane dans la soirée et donc une traversée du détroit de Messine dans la nuit (alors qu’au départ de Rome, la traversée s’effectue au petit matin avant d’arriver en Sicile).
  • Nous avons réservé une cabine “Excelsior”, c’est-à-dire une cabine de 1ère classe avec une salle de bains privative, en principe le “top” des cabines proposées dans ce train.

Avant tout, nous passons une journée à Catane sous un temps mitigé qui masque l’Etna. On y mange très bien, il faut notamment tester les formules “aperitivo” qui combinent un cocktail (par exemple, un Limoncello Spritz sicilien) et de quoi grignoter. Et bien évidemment les arancini, ou les cannoli et autres spécialités à la ricotta de brebis. Je ne sais pas s’il est possible de la visiter en temps normal mais l’Université de Catane est un édifice magnifique qui vaut également le détour, ainsi que le marché aux poissons dans le centre.

Arrivé le soir en gare de Catane, l’Intercités pour Rome est le dernier train à partir. Quelques passagers déjà à moitié endormis patientent dans le hall pendant qu’une équipe de police effectue des contrôles d’identité sur le quai. Notre train est parti de Syracuse à 21h45 et arrive à l’heure en gare de Catane, pour trois minutes d’arrêt.

À l’embarquement, c’est l’occasion de découvrir cette cabine “Excelsior”. Il s’agit d’une cabine de première classe “premium”, comprenant un kit de bienvenue (Prosecco qui aurait gagné à être mis au frais, brioches siciliennes qu’on gardera pour le petit-déjeuner du lendemain, trousse de toilette…) mais surtout une salle de bains ! WC et douche sont privatifs avec une petite cabine qui rappelle la salle de bains sommaire d’une chambre universitaire, mais qui constitue dans ce contexte, un vrai luxe sur les rails.

Il serait toutefois dommage de s’y enfermer tout de suite. Confortablement allongé dans son lit, on peut observer depuis la fenêtre les côtes siciliennes à mesure que l’Intercitynotte file dans la nuit. Un sicilien monté en cours de route fait respecter le silence dans le couloir à grand renfort d’onomatopées et de claquements de sa porte pour manifester sa colère à chaque passager discutant dans le couloir. C’est un peu autoritaire mais cette implication de sa part nous garantit à tous une nuit silencieuse.

La traversée du détroit de Messine

À minuit, la voie ferrée nous a conduits jusqu’à Messine, où de l’autre côté du rivage, on aperçoit Villa San Giovanni – l’Italie continentale. De là, d’incessantes manœuvres ont lieu pour embarquer les deux trains qui viennent d’arriver en gare (le nôtre venant de Syracuse au sud, et un autre arrive de Palerme), dans l’un des ferries traversiers. Les wagons sont détachés les uns des autres par des locomotives qui font des allers-retours à peu près dans tous les sens entre la gare, le faisceau de voies, et le port. Notre convoi finit par être poussé par à-coups dans la cale du ferry.

Le ferry dans lequel nous embarquons est le N/T Iginia, construit en 1969 et rénové dans les années 2020 avec un fonctionnement hybride carburant/batteries. Le gestionnaire du réseau ferré italien dispose d’une flotte de ferries traversiers comme le nôtre, pour permettre aux trains de franchir le détroit de Messine. Ces ferries sont aussi utilisés occasionnellement pour le transfert du matériel roulant entre le continent et la Sardaigne.

Notre wagon est bien arrimé, les agents déposent des marchepieds pour nous permettre de descendre sur le bateau. Nous sommes au total une petite vingtaine de passagers à profiter de la traversée en extérieur. Le train est assez peu rempli et à cette heure, la plupart des passagers préfèrent dormir. Les siciliens qui effectuent la liaison régulièrement ne sont sans doute plus impressionnés par le trajet.

La traversée du détroit se fait comme d’habitude en une trentaine de minutes. Les passagers sont libres de se balader entre le ferry et leurs cabines. Il y a toujours peu de contraintes ou de consignes de sécurité, les plus visibles d’entre elles semblent par ailleurs être les affichettes COVID qui sont toujours collées aux murs. Même de nuit, ce passage en bateau est extraordinaire et méritait donc bien un troisième article sur ce site pour en parler !

À l’approche du continent, les passagers sont invités par une annonce à regagner le train. De nouveau, les mêmes manœuvres sont effectuées pour sortir les différents wagons du ferry, et ne former cette fois-ci qu’un seul train en direction de Rome. Exceptionnellement, on arrive à assister aux manœuvres d’accostage depuis l’avant du train.

Les rails du ferry et ceux de la terre ferme sont progressivement alignés. Nous sommes remorqués sur le continent après qu’un convoi se soit attaché à notre wagon pour l’extraire du ferry. Le travail des agents de ce ferry est remarquable, il s’agit par ailleurs des seuls marins-cheminots en Europe, en tout cas dédiés au service voyageurs.

Après un peu d’attente à Villa San Giovanni, le train repart vers Rome et, à près de 2h du matin, il est temps d’aller dormir.

Réveil à Rome

Six heures plus tard, l’IntercityNotte continue de traverser l’Italie et longe les côtes méditerranéennes sous un beau soleil. Le petit-déjeuner est servi dans notre cabine vers 9h, à peu près une heure avant notre arrivée à Rome. À noter qu’il n’y a pas de voiture restaurant dans ce train.

C’est là qu’on se rappelle l’atout de la cabine Excelsior : la salle de bains. Et là, c’est la “douche froide” – à proprement parler ! Il n’y a pas d’eau chaude qui s’écoule. Le personnel de bord ne peut rien y faire. C’est donc dans des conditions spartiates que débute cette journée bien que la douche froide présenterait quelques atouts en matière de santé et de bien-être.

Heureusement, la journée à Rome est très agréable et ensoleillée, avant le départ le soir même dans le deuxième train de nuit pour Vienne.

En une journée d’escale, on peut apercevoir assez classiquement le Colisée (mais pas le temps de faire la queue pour y rentrer !), déguster quelques pizzas al taglio. En gare de Rome, le bar “Terraza Termini” qui offre une vue sur les trains et dont je vous avais parlé dans un précédent article est toujours ouvert mais ne propose plus de formule apéritivo. Passer au Vatican, état au cœur de Rome, permet de raconter qu’on aura visité au total trois pays avec l’Italie et l’Autriche.

Rome > Vienne en train autrichien

Afin de relier les capitales italiennes et autrichiennes, c’est un train de nuit ÖBB que nous emprunterons. La compagnie nationale autrichienne a développé un important réseau de trains de nuit “Nightjet” en Europe, desservant à l’heure actuelle 7 pays. Il s’agit donc en quelque sorte de la référence européenne des trains de nuit. Pour ce trajet au départ de Roma Termini – gare à laquelle nous sommes arrivés le matin même, nous avons réservé une couchette.

Nous circulons sur l’un des modèles de trains ÖBB les plus anciens, des voitures tractées à un niveau, sachant que la flotte de la compagnie comporte également des trains à deux niveaux et des trains rénovés tout récemment avec des cabines ultramodernes.

Compartiment 6 sièges
Notre couchette
Voiture lits

La couchette est composée de six lits et est semblable aux cabines des trains de nuit français. Elle fait un peu “vieillotte” et le confort est un peu plus sommaire que la veille. Il y a deux prises et les lits sont repliables pour aménager cet espace en journée. La couchette est en fait l’option “intermédiaire” : l’option la moins chère du train étant un compartiment de six places assises, et la plus confortable étant la “cabine lits”, des cabines plus confortables qui s’apparentent à une chambre d’hôtel.

En couchette, des draps sont fournis et les WC/lavabos sont partagés pour toute la voiture. Il semble en fait que nous soyons les seuls clients de cette voiture, seule notre couchette est occupée. Il y a un agent de service par voiture, chargé d’accueillir les passagers et d’effectuer une vente de quelques boissons, ce dernier est donc peu sollicité. Comme la veille, il n’y a pas de voiture restaurant dans notre train.

Au moment de dormir, on rencontre ce qui semble être une défaillance technique dans notre cabine : les lumières au plafond ne s’éteignent pas, et se mettent uniquement en mode “éclairage réduit”. Les agents ne parviennent pas à mettre la cabine dans le noir, nous improvisons finalement une installation avec l’échelle permettant d’accéder aux lits, et des draps pour tamiser l’éclairage.

Malgré cette première solution trouvée pour dormir, la nuit est ensuite interrompue par plusieurs montées de passagers qui se sont trompés de voiture et cherchent à rentrer dans notre cabine, et une manœuvre bruyante. Mais s’agissant d’une deuxième nuit en train, la fatigue aide à se rendormir assez facilement.

On se réveille en Autriche où le temps est beaucoup plus maussade qu’en Italie. Difficile de le deviner aux paysages inconnus au réveil, mais notre train circule avec plus d’une heure de retard, le réseau autrichien étant perturbé par un incident à Vienne. Les informations sont données par mail.

Un petit-déjeuner nous est servi en cabine par l’agent de service. Il est différent en fonction des classes de voyage choisies, et les couchettes ont droit à une boisson chaude et un pain autrichien (spécialité comparable au melon pan japonais – deux pâtes à pain formant une mie moelleuse à l’intérieur et un extérieur croustillant). Ce pain, spécialité d’ÖBB, est particulièrement bon : il semble frais et se distingue donc des autres petits déjeuners servis à bord des trains.

Il n’y a cette fois-ci pas de douche à bord, une option réservée à certaines voitures lits. En même temps celle découverte la veille avait de quoi refroidir !

Arrivée à Vienne

Nous arrivons donc à la gare centrale de Vienne un peu après midi avec une heure de retard. Sans impératifs pour le reste de la journée, le retard n’a pas été trop pénalisant et a permis de nous réveiller plus tranquillement. En descendant du train, on aperçoit la locomotive rouge “Taurus” qui a tracté notre train depuis son arrivée en Autriche, et dont le démarrage a un bruit particulier, presque musical.

À Vienne, la différence de température avec Rome la veille est assez marquée, avec 10°C en moins. La ville se prépare à accueillir le marathon de Vienne et on souhaite bon courage aux coureurs. On préfèrera faire la queue pour aller goûter un chocolat viennois et une pâtisserie au célèbre “Café Central”, et goûter les schnitzel, ces escalopes panées dont il existe par ailleurs d’excellents substituts végétariens.

En conclusion

Nous arrivons donc au terme d’une belle croisière ferroviaire entre plusieurs villes pas forcément en lien et assez différentes. Par exemple, le contraste est flagrant entre les rues de Catane, qui font penser à celles de Marseille, et celles de Vienne qui sont impeccables. Ce voyage aura été l’occasion de tester plusieurs trains de nuit et on ne peut qu’être séduits par ce mode de transport.

Mais on notera aussi la difficulté à exploiter de tels trains, ne serait-ce qu’en matière de confort pour les passagers. Non seulement il faut arriver à faire partir le train prêt et à l’heure comme n’importe quel autre train. Mais les passagers passant un long moment dans cet espace confiné et cherchant à trouver le sommeil, plus que sur une place assise, il y a aussi des attentes qui relèvent de l’hôtellerie. Et quand un problème arrive, il est plus compliqué de faire venir un plombier pour rétablir l’eau chaude ou un électricien pour réparer un éclairage, surtout que les installations sont disposées dans des espaces exigus et sont soumises à de fortes contraintes. Il est ainsi plus complexe de garantir une expérience premium à bord d’un train de nuit avec des services associés, même si d’autres transports comme l’aérien y parviennent aussi.

Enfin ces trains nécessitent parfois quelques changements de locomotives ou manœuvres pour franchir les frontières nationales et naturelles. De ce fait, et aussi en raison de leurs longs parcours sur le réseau, les trains de nuit sont en proportion plus exposés aux aléas comme le montre le retard de notre train autrichien. Ce retard donne d’ailleurs droit à une compensation retard comme le veut le règlement européen. Le bon d’achat ainsi obtenu auprès d’ÖBB servira probablement à financer d’autres voyages qui vous seront évidemment partagés sur ce site, bien que la ligne Paris > Berlin/Vienne soit impactée par des travaux qui conduiront à sa suspension dans les prochaines semaines et ce jusqu’en novembre 2024.

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